Eddy EKETE, l'homme Canette

Eddy EKETE, l’homme Canette

« Je crée avec ce que la société fabrique »

On le surnomme l’homme Canette (Matchacha Man). Né à Kinshasa (République Démocratique du Congo) en 1978, Eddy Ekete est un artiste plasticien internationalement reconnu, menant ses réflexions sur tous les champs de recherche qu’offre la pratique artistique. Après des études aux Beaux-Arts de Kinshasa et aux Arts Décoratifs de Strasbourg, Eddy Ekete devient membre fondateur du collectif Ezrapossibles à Kinshasa en 2003 puis de Kinact en 2015 qui est le festival international des performeurs.

Eddy Ekete a été heurté par le surplus de canettes vides qui traînaient dans les rues, au Congo comme en France. Dans l’idée de témoigner, d’interroger notre monde, il crée les hommes canettes, ces golems modernes nés des déchets de notre société en 2007 à Paris.

 

 

Portrait ©Eddy Ekete.

Homme Canettes en déambulation dans la rue.

Le costume du Matchacha Man est inspiré des costumes vaudou d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique Centrale. 700 canettes ont été récupérées par Eddy Ekete pour fabriquer un costume de 25 kilos, dont l’assemblage a demandé à l’artiste 56 heures de travail. Sous cette nouvelle identité livrée au monde, l’énergie et le souffle produits par le corps humain forment la force de la démarche du collectif d’artistes indépendants qui s’est joint à Eddy Ekete dans ce « peuple des Hommes Canettes ».

Le peuple des Hommes Canettes

Mêlant réflexion, expérimentation, pratique plastique et performances, les Hommes Canettes arpentent l’espace public, entrent en interaction avec les passants et interrogent sur les couleurs produites par la société. « Les hommes canettes, même s’ils font des actes sans paroles, font beaucoup de bruit » (Eddy Ekete). C’est d’ailleurs de ce bruit « terrible » qu’est né le costume de l’homme Canette, révélation auditive portée aux oreilles de l’artiste lors de ses recherches sur le mode d’accrochage de ces objets qui, une fois vidés par l’homme de toute leur substance, sont réduits à l’état de déchets sur la voie publique. En réhabilitant la canette comme élément d’un tout artistique, en lui attribuant volontairement un autre destin par le costume, le corps de l’artiste s’efface derrière une nouvelle figure qui interagit avec ses semblables.

 

 

L’artiste ajoute : « Pour les costumes canettes je fais un lien entre l’aspect formel des statuettes N’kisi, leurs fonctions dans la société traditionnelle en Afrique centrale et les costumes canettes. Les statuettes N’kisi communément nommés « fétiches à clous » tirent leur puissance des clous ou plus généralement des lamelles de fer. Elles servent à ceux qui les emploient à se défendre d’ennemis potentiels en jetant un sort ou d’autres maux. Moi et les costumes canettes réintroduisons un néo-animisme sur la voie publique de nos villes qui pourrait être un mode privilégié de négociation avec les figures du désordre. Chaque intervention urbaine des hommes canettes traite avec les puissances qui gouvernent les sociétés humaines contemporaines.

Les hommes Canettes par l’aspect formel de leur costume déjouent les séparations entre des mondes habituellement dissociés : le masculin et le féminin, le monde des vivants et celui des morts, celui des emballages des déchets et celui des hommes.

Les hommes Canettes sont anachroniques et intemporels. Ils voudraient pouvoir guérir leurs contemporains humains, les exorciser, les protéger, les enchanter ou les désenchanter. Ils voudraient pouvoir rétablir les déséquilibres à l’origine des désordres écologiques, psychologiques ou humains ».

Du côté de la performance, la chorégraphie, la mise en mouvement de l’homme Canette est une source de réflexion  permanente : à travers leurs déambulations dans l’espace public, les artistes cherchent à comprendre le comportement des Matchacha Men, les interactions qu’ils entretiennent avec le mobilier urbain, avec les passants ou entre eux : « quand ils secouent leurs canettes comme des écailles pour manifester leur joie, quand ils s’immobilisent comme s’ils étaient endormis, quand ils se rapprochent entre eux comme si Petit Homme Canette cherchait refuge et protection auprès de Grand Homme Canette…cette gestuelle rappelle celle des animaux entrevus aux zoos, à la télévision ou dans les contes pour enfants ». (Eddy Ekete). De cette chorégraphie spontanée émane une intensité suggestive, qui embarque le spectateur vers un ailleurs, une réalité alternative, dans un véritable chaos auditif ou dans un silence assourdissant.

 

 

©Bozar Bruxelles.

Car c’est bien là l’élément qui a le plus marqué Eddy Ekete : plus que le bruit phénoménal que crée cette armure de métal en s’entrechoquant, « le pire est peut-être le silence assourdissant dans lequel l’homme canette peut soudain se figer ». Eddy Ekete

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