Le surréel de Bodo Fils

Le surréel de Bodo Fils

Comme son nom l’évoque Bodo fils revendique un seul maître en art, son père.

En effet, pourquoi lui faudrait-il renier ce représentant majeur de la peinture contemporaine congolaise, tant celui-ci eut d’importance dans sa vie personnelle, comme dans l’activité artistique de son pays.

Pierre Bodo fut reconnu de son vivant par ses pairs comme l’un des meilleurs d’entre eux et repéré par bien des collectionneurs et des institutions culturelles internationales.

De son héritage paternel, Bodo fils a conservé une philosophie de vie, une morale et un savoir-faire pictural acquis auprès de lui. Il s’inscrit dans une tradition établie de transmission d’atelier entre parents d’une même famille, de même qu’il aura profité pendant ces trente dernières années d’un contexte exceptionnel de production artistique à Kinshasa. Durant cette période, la République Démocratique du Congo a vu se développer des expressions picturales avec un répertoire d’images fondées sur la représentation des mythes traditionnels, les mœurs locales ou l’actualité politique. Les situations évoquées et retranscrites souvent avec humour, se transmettent d’atelier en atelier, comme à l’époque de la gravure sur bois en occident. Les thèmes deviennent ainsi rapidement génériques, sans que l’auteur initial, parfois anonyme, ne puisse s’en irriter.

Les peintures de Sapeurs sont ainsi courantes en RDC, et les artistes se plaisent à représenter ces dandys concourant d’élégance et d’extravagance à Kinshasa comme à Brazzaville, d’un côté ou de l’autre du fleuve Congo. Bodo fils s’en saisit à son tour pour décliner une galerie de portraits en pied, insufflant son regard ironique sur ces personnages en attribuant le caractère spécifique d’un animal à la personnalité de chaque sapeur.

Mais au-delà d’une vision distancée portée sur un phénomène social, marqueur d’une passion collective de la jeunesse congolaise pour la modernité, le pinceau de Bodo fils s’attarde surtout au rendu d’une posture presque chorégraphique des corps, au traitement tout en délicatesse d’un visage, comme il recherchera les accessoires surréalistes qui déstabiliseront l’entreprise d’élégance des sapeurs, fascinés par des références essentiellement venues d’Europe.

Par ailleurs, Bodo fils compose des scènes où, à une analyse politique de son pays, se mêle de manière plus complexe des citations à une actualité tragique, des références au surnaturel, à la figure traditionnelle de la Mami Wata, aussi bien qu’à des déités bienfaisantes ou funestes se déplaçant dans des engins de science-fiction. Tout l’imaginaire de l’artiste se développe ainsi dans ses œuvres lorsqu’il combine habilement, grâce à sa maîtrise picturale, les héritages multiples qui font le lien entre les coutumes ancestrales, la réalité du moment et une projection dans un monde rêvé.

 

Jacques Py, le 10 décembre 2017

Critique d’art, membre de l’AICA-France et commissaire d’exposition indépendant 

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