Ar Men : À Brest, Noir est une couleur

Ar Men : À Brest, Noir est une couleur

A BREST, NOIR EST UNE COULEUR

Les responsables du Comœdia, la nouvelle galerie d’art brestoise proposent une exposition ambitieuse autour du noir. Si cette teinte ne peut être réellement considérée comme une couleur, sa beauté violente lui confère un statut de mode d’expression radical.

Élégant petit théâtre à l’italiennne bâti dans le centre de Brest lors de la reconstruction de la ville après-guerre, le Comoedia fut un théâtre puis un cinéma, puis abandonné pendant un quart de siècle, avant de renaître en mars 2019 en un somptueux espace d’art de 400 mouvert en entrée libre, du jeudi au samedi.

Après une exposition consacrée notamment au peintre Yvon Daniel (voir ArMen n232), les responsables des lieux proposent jusqu’à fin janvier une plongée envoûtante et plurielle dans le monde secret d’artistes ayant en commun la fascination du noir. En un temps où le nom de Pierre Soulages est sur toutes les lèvres, où l’écrivain Christian Bobin vient de consacrer un récit parfait à l’évocation de ce grand peintre, cette dérive lente dans l’épais mystère de la plus sombre des « non couleurs » est fascinante.

LUMIÈRE NOIRE

Au fond de la scène originelle du lieu, des oeuvres de Jacques Blanpain éblouissent par leur splendeur sobre. L’artiste peint sur des draps en lin achetés dans des brocantes. Sur ces toiles parfois plus grèges que blanches, il déploie le grand vertige du noir profond haché parfois d’une suture de rouge, éclaboussure de sang ou tracé d’une imprécise frontière. Dans le même esprit, ses sculptures abstraites sur bois portent la marque anxieuse de sa réflexion sur l’exil et les migrations contraintes.

Aux murs, les peintures de Cali Rezo donnent le vertige. Le critique Étienne Pécheux signale à juste titre que « la radicalité de la peinture de Cali Rezo passe par l’utilisation d’une palette essentielle de noirs et de blancs où les formes révèlent un sens, un signe, une écriture qui fait écho à une mémoire intime du geste. [ …J La texture balance entre des vides de noir mat, des satinés évoquant le galet poli, les brillances de reflets captant l’environnement. Ses couleurs, son mouvement, sa profondeur. » Une oeuvre magistrale, mordue d’inquiétude et fondée sur l’invention audacieuse d’un alphabet propre à l’artiste.

Catherine Aerts-Wattiez nous entraîne davantage vers l’émotion poignante. Ses oeuvres nous attrapent par le coeur comme en une défaillance douce. Nous nous égarons longtemps dans ses encres aux traits adoucis qui disent les vertiges des confins et l’irréalité de l’apesanteur. Celles de Benoît H nous émeuvent tout autant, en une perspective inverse, s’inscrivant délibérément du côté de la rudesse. Quant aux sombres vanités au pochoir de Loïc Madec, elles sont le rappel lucide de la précarité de notre condition humaine.

Près de cinquante œuvres enfin des sculpteurs Jean-Yves André, Vincent de Monpezat, Marc Piano, Miguel Chevalier, Frédéric Périmon sont offertes en contrepoint des toiles. Forêt de totems, art numérique, tétrapodes, sculptures murales, céramiques, bottines sensuelles, ces pièces magnifiques exaltent les formes libres, la jubilation intense de la création sculptée ambitieuse, elle qui ouvre à grands battants les hautes portes de l’imaginaire.

Noir est une couleur & Couleurs sculptées. Le Comoedia, espace d’art. 35 rue du Château, Brest. Entrée libre du jeudi au samedi jusqu’au 25 Janvier.

Retrouvez cet article en intégralité dans le numéro 234 de la revue Ar Men (janvier-février 2020).

 

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