Richesse, liberté, volupté, et engloutissement, Ys, par Benjamin Deroche

Richesse, liberté, volupté, et engloutissement, Ys, par Benjamin Deroche

©Benjamin Deroche
Oui, incontestablement, Ys, publié par Filigranes Editions après La lumière du loup (2020) et Sur-Nature (2023), est le plus beau livre de Benjamin Deroche.
Parce qu’y vibre l’énergie féminine de la divinité égyptienne Isis – mantra bien connu des adeptes de l’ésotérisme -, parce que le Y est un présage de volupté, parce que le bleu marin de sa couverture est une idéalité mariale.

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Ys, c’est aussi, tous les amoureux de Douarnenez – de plus en plus nombreux – vous le diront, une légende, un galop, un désastre, un amour fou.
Une princesse vénérant les cultes celtiques oubliant lors d’une de ses orgies de fermer les portes d’une ville construite plus bas que la mer, un évêque redresseur de tort, et un amour pour le diable entraînant l’engloutissement de la cité ainsi que la noyade de la pécheresse Dahut.

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Immergé dans cette histoire belle et terrible, Benjamin Deroche a imaginé sa série comme on construit une fiction seconde, d’intuition en intuition, d’îlot en îlot.
« Pour fabriquer une fiction féérique, le photographe use de toute une palette technique, écrit en préface Emmanuelle Hascoët, qui connaît parfaitement son travail pour l’accompagner en amitié et expertise depuis des années, alliant peinture, moyen format et vieux reflex numériques, Polaroïd, pellicule Porta 400 en argentique. Dans cette apposition d’images couleurs et noir et blanc, de précision du détail et de floutés magnifiques, de paysages et de visages, d’argentique et de peintures à l’huile, la présentation picturale est plus qu’une simple captation d’un lieu dédiée à une information. En effet, dans les interstices s’immisce le réalisme magique. »

©Benjamin Deroche
Cet emploi de techniques diverses est en effet remarquable, mises au service d’une sorte de métaphorisme général, Benjamin Deroche, artiste sémioticien, pensant par tropes, métonymies, synecdoques, analogies.
Mais les photographies réussies échappent aux entreprises de signification et de symbolisation, elles sont libres, puissance d’effraction, nomadisant à leur gré.
C’est la blonde chevelure d’une femme, tournant le dos aux noirs rochers attaqués par les vagues, regardant la lande et les bleutés célestes.

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C’est une pierre dressée comme une armée de blés.
Une tache de jaune de laquelle s’extrait une pépite d’or.
Un sillon brun et doux serpentant entre les taillis d’une futaie.
Une assiette céruléenne, miroir s’assombrissant, bientôt couvert de végétaux morts.

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Les registres sont multiples chez Benjamin Deroche, qui ne s’interdit guère les visions surréalisantes, masques d’épouvante drôle pour des amants nouveaux dévorés chaque nuit par une démone enfant aux courbes irrésistibles.
Il fait tempête ce soir-là, il fait temps de chien, il fait croix de feu dans l’onde félonesse.

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Dans son ermitage du Faou, Philippe Le Guillou évoque les mânes du Roi Gradlon, de Corentin (voir la cathédrale de Quimper), de Guénolé, laissant monter en lui les visions.
Nous sommes en décembre 2022, il fait froid, le vent cogne les volets de bois comme on cherche à ébranler un donjon.
Le corps de l’écrivain tremble mais la main est ferme, composant sur la table, dans les larmes bleues transformées en encre, un gwerz ultime : « La Dame est posée sur la pierre / Le roi s’agenouille et lui offre l’église / Près de la harpe aux cordes brisées / Le druide pleure un monde englouti / Tout est fini / Plus jamais on n’adorera les arbres et les sources / Dans le grand sanctuaire des bois / C’en est fini de la ville des plaisirs et des fêtes / C’en est fini d’Ys, la ville du milieu des eaux / La ville de Dahut qui aimait le vent, les hommes et la pâleur des flots »

Benjamin Deroche, Ys, textes (français/breton) Philippe Le Guillou, Emmanuelle Hascoët, coordination éditoriale Kelig-Yann Cotto, conception graphique Patrick Le Bescont, Filigranes Editions / Port-Musée de Douarnenez, 112 pages, 2023

https://www.benjaminderoche.net/

Deroche Benjamin


Exposition au Port-Musée de Douarnenez (Finistère), du 3 juin au 5 novembre 2023

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Benjamin Deroche est représenté par la galerie Rouge (Paris) pour ses photographies, et par le Comoedia (Brest) pour ses peintures

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